Thérapie par les poupées : réduire les troubles du comportement associés à la démence
Par Carol Huber et Sara Zumoberhaus, Infirmières BSc, lauréates du prix 2021 de l’AVALEMS pour leur travail de Bachelor « Wirksamkeit der Anwendung von Puppen auf das Verhalten bei Menschen mit Demenz in der Langzeitpflege »
Cet article présente les résultats d’une revue de la littérature scientifique. L’objectif était de démontrer l’efficacité des poupées sur le comportement des personnes atteintes de démence dans les établissements de soins de longue durée. Télécharge l’article en format pdf.
Introduction
Plus de 50 millions de personnes dans le monde souffrent de démence et plus de 9,9 millions de nouveaux malades sont diagnostiqués chaque année (Alzheimer Forschung, 2015). Selon l’Office fédéral de la santé publique, la prévalence de la démence en Suisse est d’environ 144 000 et l’incidence annuelle est d’environ 30 910 personnes (OFSP, 2020). D’ici 2050, on dénombrera 152 millions de personnes atteintes de démence dans le monde. Cela s’explique notamment par le fait que l’âge représente le principal facteur de risque de démence (Alzheimer Suisse, 2020). Les chiffres montrent que le personnel soignant sera davantage confronté à cette maladie à l’avenir.
Souvent, les personnes atteintes de démence présentent des symptômes psychologiques et des troubles du comportement comme une agitation, de l’anxiété, une dépression ou une irritabilité. Il en découle une charge accrue des soins, une qualité de vie dégradée, davantage de placements en institution et une consommation accrue de psychotropes (Balzotti et al., 2018).
Utiliser des poupées
Les poupées utilisées dans le traitement des personnes atteintes de démence peuvent être réalistes et ressembler à des bébés, avec certaines caractéristiques anthropomorphes. Leur poids, leur taille et l’expression du visage peuvent varier (Yilmaz & Asiret, 2020). La thérapie par les poupées fait partie des interventions psychosociales et non pharmacologiques peu coûteuses (Shin, 2015 ; Cantarella et al., 2017). Elle est axée sur l’humain et centrée sur la personne (Chan et al., 2016). Le but est de voir la personne atteinte de démence porter d’elle-même son attention sur la poupée. La notion de « thérapie par les poupées » donne parfois lieu à débat sur la nature effectivement thérapeutique de l’intervention, dispensée par des personnels soignants. Elle permet toutefois de satisfaire les besoins d’attachement, de sécurité et de communication des personnes démentes et d’améliorer leur bien-être (Balzotti et al., 2018), et peut à ce titre être un soulagement pour le personnel soignant. Les résidents en EMS perdent souvent le lien aux objets et aux personnes ; le lien à une poupée peut alors être réconfortant. Le recours aux poupées doit tenir compte de l’histoire du patient, de ses réactions et de sa personnalité.
Résultats
Aucun impact statistique n’a pu être établi sur l’issue cognitive. En revanche, une amélioration du bien-être a été constatée à terme. Des différences significatives ont été constatées dans la comparaison entre le groupe d’intervention et le groupe témoin pour les critères d’humeur positive, d’apparence physique satisfaisante et d’interaction sociale. Enfin, certaines études ont montré une différence significative pour le critère de satisfaction dans la comparaison entre le groupe d’intervention et le groupe témoin.
La majeure partie des résultats se joue dans l’issue comportementale. La plupart des études ont examiné l’efficacité des poupées sur le comportement des personnes atteintes de démence. Au total, une réduction significative des troubles du comportement a pu être observée dans six études.
En résumé, une réduction significative des troubles du comportement a pu être constatée à l’issue de six études (Moyle et al., 2018 ; Balzotti et al., 2018 ; Vaccaro et al., 2020 ; Braden & Gaspar, 2015 ; Yilmaz & Asiret, 2020 ; Shin, 2015). Aucun impact statistique n’a en revanche pu être mis en évidence pour la cognition (Yilmaz & Asiret 2020). Enfin, une amélioration a pu être décrite pour le critère du bien-être (Shin, 2015 ; Chan et al., 2016). Toutefois, dans la comparaison entre le groupe d’intervention et le groupe témoin, une différence significative a été notée pour la satisfaction. En entretien, des effets apaisants, une activité ciblée et un réconfort émotionnel ont pu être constatés chez cinq participants (Moyle et al., 2018). Balzotti et al. (2018) ont observé une diminution significative des comportements agités, de la dépression, de l’apathie et de l’irritabilité, en particulier pour les critères d’agitation, d’anxiété, d’apathie, d’irritabilité et de tendance à divaguer. C’est ce que confirme aussi l’étude de Cantarella et al. (2017), qui a montré également une diminution des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (BPSD) dans le groupe d’intervention. Braden & Gaspar ont constaté un changement de comportement positif chez la majorité des sujets après la mise en place de la thérapie par les poupées. Une différence statistiquement significative a pu être mesurée pour les critères de joie et de satisfaction. Toutefois, aucune amélioration n’a été constatée en termes de vivacité, d’agitation et d’interaction (Braden & Gaspar, 2015).
Discussion
La transposition et la généralisation à la Suisse sont restreintes par la nature internationale des études et la proportion élevée de femmes recensées. Les aspects éthiques doivent également être considérés d’un œil critique. Les auteures estiment qu’il est important que les proches soient informés de la mise en place d’une thérapie par les poupées et que ces poupées soient réalistes. Le recours aux poupées doit être décidé au cas par cas, sans durée ni contexte prédéfinis. Les auteures estiment parfois que le terme de « thérapie par les poupées » est inapproprié, car il leur est difficile d’évaluer s’il s’agit effectivement d’une forme de thérapie. Par le terme de thérapie, elles entendent le fait d’utiliser des poupées pour tenir occupés les patients atteints de démence, au cas par cas. C’est pourquoi la notion d’« occupation par les poupées » pourrait être plus adéquate. L’utilisation de poupées implique de disposer de connaissances de fond et d’observer le comportement des patients. Il ne faut donc pas sous-estimer le personnel soignant à cet égard.
Recommandations
Les recommandations pour la pratique des soins infirmiers, la formation et la recherche reposent sur l’hypothèse que la thérapie par les poupées est une possibilité offerte au personnel soignant pour proposer aux personnes atteintes de démence un soutien peu coûteux et efficace, afin de réduire les troubles du comportement.
Pratique des soins infirmiers
Une directive allemande pourrait être élaborée sur la base de la directive anglaise existante de Mitchell (2016) et des résultats de ces travaux. De plus, d’autres travaux de recherche pourraient être entrepris dans ce domaine. Le personnel soignant doit comprendre les aspects théoriques et éthiques, pour garantir une intervention individuelle et ciblée. En raison des restrictions cognitives dont elles souffrent, les personnes atteintes de démence ne sont généralement plus en mesure de prendre des décisions. C’est pourquoi il est important que le personnel soignant maîtrise l’utilisation des poupées et qu’il soit en mesure d’informer et de conseiller les proches de façon détaillée.
Formation
L’intégration de cette intervention non médicamenteuse dans la formation de base du personnel soignant serait à conseiller. Elle pourrait être rangée sous la thématique de la démence. Il convient de proposer des spécialisations pour permettre une activité professionnelle en tant que personnel soignant qualifié dans un établissement de soins de longue durée. Une formation spécialisée avec présentation de directives pour le traitement par les poupées est approuvée, en mettant toutefois l’accent sur les patients atteints de démence.
Recherche
Il est certain qu’il faudra poursuivre les recherches sur ce thème. À l’avenir, il faudrait envisager des études qui analysent le temps passé par les résidents avec des poupées, en relevant leurs besoins (Moyle et al., 2019). Les auteures sont favorables à d’autres recherches futures, avec des comparaisons directes des traitements pharmacologiques et de la thérapie par les poupées sur les comportements difficiles. Dans d’autres études, des hommes devraient être recrutés pour poursuivre les recherches. Cela permettrait d’observer si des effets similaires à ceux observés chez les femmes sont mis en évidence. À cet égard, il est également possible d’explorer les autres possibilités d’occupation des hommes atteints de démence, avec des effets similaires aux poupées (Moyle et al., 2019). Des échantillons de plus grande taille amélioreraient la capacité de généralisation. Enfin, si la recherche en soins infirmiers continue d’apporter des résultats positifs, il faudra débattre de la possibilité d’introduire cette approche dans la classification des interventions en soins infirmiers afin de garantir une éventuelle pris en charge par les caisses-maladie.
Bilan personnel des auteures
L’utilisation de poupées chez les personnes atteintes de démence dans les établissements de soins de longue durée peut présenter des aspects positifs sur les troubles du comportement. Les poupées doivent être utilisées en cas de troubles du comportement dans le cadre d’une démence de stade moyen à avancé. En effet, à un stade précoce, les personnes atteintes de démence vivent encore partiellement dans la réalité et n’oublient que des choses ponctuelles. Chez les personnes atteintes de démence avancée, l’utilisation d’une poupée permet de revivre des souvenirs et des relations. Pour la mise en place d’une telle thérapie, certains points sont considérés comme élémentaires par les auteures, notamment le principe d’autonomie, l’individualité, la prise en compte de l’histoire ainsi que l’observation précise des réactions des personnes atteintes de démence.
En conclusion, si la poupée s’intègre à la réalité des personnes atteintes de démence et produit des effets positifs, son utilisation ne doit faire aucun doute.
« Il s’agit de rencontrer le patient dans sa perception du monde »
Naomi Feil
Bibliographische Referenzen
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